Perspectives sur l’atelier sur les préjugés et privilèges du programme T.R.A.I.N.

Claude Schryer

T.R.A.I.N.

Mars 2023

Je me tiens au courant de l’excellent travail qu’entreprend Mobilisation culturelle depuis sa création. À l’époque, je gérais le Bureau inter-arts au Conseil des arts du Canada. J’étais bien heureux de voir cet organisme de recherche artistique se joindre aux structures artistiques existantes. Son mandat est de combler les blancs et de nous aider, chacun d’entre nous, à comprendre qui nous sommes vraiment en tant que communauté des arts et à mieux travailler ensemble grâce à des données claires et des modèles de coopération.   


J’ai été impressionné, quoique pas étonné, de voir la portée et le calibre du programme T.R.A.I.N. (formation de réseaux respectueux, adaptifs et inclusifs dans le secteur des arts) de Mobilisation culturelle, qui comprend quelque 49 cours en ligne (en plus d’événements asynchrones) :

En tant que fonctionnaire ayant récemment pris sa retraite (21 ans au conseil), j’ai voulu suivre toutes ces formations!

Je souhaitais particulièrement en apprendre davantage sur la modernité et la décolonisation (et désapprendre certains concepts). Ce sujet correspondait bien à mon projet Sonder la modernité (saison 4 de mon balado intitulé Conscient) qui comprend un épisode sur le privilège. Quel beau cadeau! Et bien sûr, quel privilège.

Séance du 15 février : L’équité versus l’égalité, les mesures anti-oppression et une réflexion sur le privilège

J’ai fini par participer à des séances portant sur les parcours dans l’écosystème artistique du Canada, les pratiques éthiques dans le domaine des arts, les modèles de gouvernance émergents, l’engagement civique et la défense d’intérêts et le militantisme dans les arts. Cependant, c’est la séance du 15 février intitulée L’équité versus l’égalité, les mesures anti-oppression et une réflexion sur le privilège faisant partie du module L’équité en matière d’évaluation pour les artistes, animée par Sharmalene Mendis-Millard, qui a le plus capté mon attention. Cette séance m’a même profondément touché et j’ai été reconnaissant envers Jagroop Mehta, qui m’a gentiment proposé d’écrire un article sur mon expérience. 

J’étais à mon chalet cette journée-là (voici la vue de mon fauteuil). Il faisait froid et j’étais un peu nerveux parce que je suis privilégié (même si mon chalet est très rustique). Je suis libre de voyager comme je veux, de bien manger, de m’exprimer par l’entremise de mon art, j’ai accès à la nature et je suis confortable et en toute sécurité. 

Kathy Rath, qui dirigeait l’atelier, a commencé par nous demander de songer aux questions suivantes : Que signifie l’évaluation de nos travaux en tant qu’artistes ainsi que l’évaluation de la programmation artistique et comment pouvons-nous appliquer une lentille d’équité dans nos évaluations?

Hmmm… je connaissais bien cette question grâce aux formations que j’ai suivies et aux travaux politiques que j’avais réalisés au Conseil des arts du Canada en collaboration avec d’excellents leaders en matière d’équité comme Sharon Fernandez, Melinda Mollineaux, Sheila James et Mana Rouholamini. Mais cette fois-ci, je participais en tant que membre de la communauté artistique sans mon armure institutionnelle et j’étais libre de m’exprimer comme je voulais à propos d’un enjeu central dans mes travaux au Bureau inter-arts du conseil, c’est-à-dire l’équité dans l’accès de toute personne et de toute discipline artistique. Mes préoccupations concernent maintenant l’équité dans l’accès de tout être vivant à une planète saine, et la justice sociale et justice environnementale sont des enjeux interreliés. 

On a demandé à notre groupe, composé d’environ 20 leaders du secteur des arts (parmi lesquels j’étais le seul homme, en passant) de clarifier le processus d’évaluation, de discuter des principes d’équité et de fournir des exemples montrant comment nous pouvions les appliquer dans nos travaux quotidiens en tant que travailleurs culturels.  

On nous a aussi demandé de réfléchir à nos propres privilèges et à notre position, et de bien examiner comment nous pouvons utiliser l’évaluation pour favoriser la justice sociale et encourager les changements. C’est beaucoup de matière à examiner dans 90 minutes, mais l’atelier (comme tous les autres) était bien organisé et mariait bien les renseignements pratiques à la participation créative.

Dessin Égalité versus équité

Au début de l’atelier, on nous a présenté le dessin bien connu portant sur l’égalité en relation à l’équité, mais le dessin qu’on nous a montré ajoutait de nouvelles dimensions, celles de la réalité et de la libération. Les membres du groupe ont discuté de ces enjeux et sont arrivés à la conclusion que la participation et l’accès égaux étaient la clé de l’équité véritable (tout le monde sur le même pied d’égalité), mais que nous ne sommes pas du tout rendus là.

Après avoir parlé des autres principes de l’équité, nous avons entamé un exercice de dessin pour nous aider à réfléchir à nos propres privilèges et positions. Dans mon dessin ci-dessous, j’ai dessiné des pétales de fleur qui représente le montant de privilège que je considère avoir. Dans le contexte de cet exercice, j’ai dessiné de larges pétales sous race, genre et orientation sexuelle. Nous avons ensuite ajouté d’autres formes d’iniquité comme les capacités, la richesse, l’éducation, la langue, l’environnement, la géographie, l’hétérosexualité, le type corporel, la maladie, la neurodivergence et ainsi de suite. 

Quand on nous a demandé de fournir des exemples tirés de notre vie, j’ai mentionné que quand j’ai commencé à travailler au Conseil des arts du Canada en 1999, il n’y avait pas de soutien direct pour les artistes sourds ou handicapés, mais qu’après plusieurs années de revendication communautaire et de consultations menées par le personnel auprès des artistes, le Conseil dispose maintenant d’une gamme complète de politiques pour appuyer les artistes sourds et handicapés. Cet exemple démontre que le système peut changer et que le principe d’équité dans l’évaluation des artistes est possible, mais qu’il faut du temps et des efforts et que la bureaucratie soit à l’écoute.

J’ai aussi parlé des préjugés inconscients comme exemple (ce sont des stéréotypes à propos de certains groupes de personnes que les gens développent sans s’en rendre compte). Les bailleurs de fonds dans le domaine artistique sont en train d’élaborer des politiques à ce sujet, mais il est difficile de préciser quel sera le résultat parce que les personnes qui dirigent ces politiques ne sont souvent pas suffisamment au courant de leurs propres préjugés inconscients. Un cercle vicieux de bonnes intentions…

Passer à l’action

L’atelier s’est terminé par un ensemble de points pour passer à l’action :

Je m’intéresse personnellement à l’éthique de l’écoute, donc je me suis dit qu’il était particulièrement important d’écouter les gens qui ont une expérience vécue afin d’éviter de tomber dans le piège de l’arrogance et du privilège.

J’ai donné l’exemple du Undercurrents Festival présenté par Ottawa Fringe qui offre une échelle d’adaptation des prix de billets. J’ai trouvé que cette politique était plus équitable et accueillante que les prix fixes. 

J’ai aussi été amené à songer à la dernière question de l’atelier : Si je n’avais pas [VIDE], qu’est-ce qui m’aiderait?

Ma réponse était mon chalet, où j’étais quand j’ai participé à cet atelier. Si je n’avais pas cet endroit en nature qui est précieux pour moi, j’aimerais bien que quelqu’un partage le sien avec moi. C’est d’ailleurs ce que moi et ma femme, Sabrina Mathews, faisons depuis des années et allons continuer à faire. 

L’atelier a pris fin après 90 minutes et se poursuivait à la partie 2, mais je n’ai pas pu y participer. 

Je tiens à remercier les organisateurs de l’atelier et tous les participants. J’espère que nous pourrons discuter de ces enjeux de nouveau bientôt et comparer nos notes sur nos plans d’action. 

Anjali Appadurai et le privilège environnemental

J’aimerais conclure en vous proposant un court extrait de l’épisode 23 de mon balado Conscient (saison 2). J’ai discuté avec Anjali Appadurai, militante pour le climat et politicienne progressiste, et nous avons fait une balade sonore le 2 avril 2021 à Vancouver (pour vous abonner, rendez-vous à

https://www.conscient.ca/sabonner/?lang=fr ). 

Vers la fin de notre échange, lors duquel nous avons parlé des différentes sortes de privilèges, Anjali a parlé avec sa perspicacité habituelle du privilège dans le contexte de l’urgence climatique (révisé pour assurer la concision) :

Lorsqu’on parle de l’extinction de notre espèce, remarquons que cette extinction ne se produit pas du jour au lendemain. Elle se fait sur un spectre. Qui seront les derniers à survivre? Ce seront ceux qui ont le plus de ressources. Et qui seront les premiers à disparaître? Ceux qui en ont le moins, les moins favorisés. Donc, je ne pense pas qu’on puisse parler de climat sans parler de privilège essentiellement. Je pense qu’il nous revient tous de bien y penser et d’en parler dans nos conversations. Parce que je vois beaucoup de conversations sur le climat qui portent sur ce sujet.

Il y aussi des discussions sur comment tout diviser de façon équitable, les émissions restantes, comme un budget carbone pour le monde. Donc, le budget carbone est une perspective unique, mais il y a d’autres perspectives qui font leur chemin comme celle du droit à l’espace atmosphérique. Si on considère que le droit à l’espace atmosphérique est un droit humain et si nous divisons cet espace selon ce qu’il nous reste dans le monde, combien de gens ont beaucoup plus d’espace que leur juste part? Combien de personnes en ont beaucoup moins? Et voilà une autre question qui touche le privilège. Et si nous pensons au Grand Nord, c’est clair que celui-ci joue en faveur de notre privilège global.

Rencontre avec l'auteur

Claude Schryer

Claude Schryer (1959, Ottawa, il/lui) est convaincu que les arts, dans le contexte de la décolonisation, peuvent jouer un rôle beaucoup plus important dans le façonnement de notre avenir collectif et a consacré le reste de sa vie à cette vocation. Il est un artiste franco-ontarien du son et des médias et un administrateur des arts d’ascendance européenne. Il détient une maîtrise en composition de l’Université McGill et a participé activement aux communautés d’écologie sonore et de musique électroacoustique dans les années 80 et 90. De 2000 à 20, il était membre de l’équipe de gestion au Conseil des Arts du Canada en Inter-arts et en tant que conseiller stratégique. Il produit actuellement le balado conscient sur l’art et la crise écologique et lancera la saison 4, “Modernité sonore”, le 1er janvier 2023. Il décrit son esthétique artistique comme “une exploration de l’espace liminaire entre la réalité, la fantaisie et l’esprit”. Il également activiste pour l’environnement en tant que bénévole pour le Leadership Sectoriel des Arts sur l’Urgence de la Transition écologique (LeSAUT) (président du Conseil d’administration et membre du Cercle de mission) et donne des ateliers, anime des réunions et est un conférencier sur l’art et la crise écologique. Il est reconnaissant auprès du collectif Gesturing Towards Decolonized Futures et au cours Facing Human Wrongs pour l’avoir guidé dans ses apprentissages et ses désapprentissages. Il est un praticien de zen et de qi gong, fils de Jeannine et Maurice Schryer, mari de Sabrina Mathews, père de Clara Schryer et de Riel Schryer.

Perspectives sur l’atelier sur les préjugés et privilèges du programme T.R.A.I.N.